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Les pièges de l’accompagnement au domicile

Article d’Elizabeth Turquais, Novembre 2006

L’accompagnement au domicile est sans doute celui qui nous donne les moments les plus enrichissants, les émotions les plus fortes et les souvenirs les plus inoubliables. Il est également celui de tous les dangers et de toutes les dérives possibles si l’on n’y prend garde. Je voudrais donc énumérer quelques spécificités du domicile et voir ensuite comment nous pouvons nous prémunir contrer ces écueils.


La première dérive possible est totalement honorable. Il s’agit de la tentation du faire. On y succombe tous, bien évidemment. Déjà à l’hôpital il est difficile de refuser de rendre un petit service au malade… alors au domicile cela devient quasi impossible. En stage de formation nous avons tous entendu dire que ‘le bénévole d’accompagnement ne fait rien sinon être là.

Oui, d’accord mais que répondre lorsque l’on vous demande de donner des médicaments à un malade, le conduire chez le médecin, le promener au parc ?

Je crois qu’ici le bon sens est de rigueur. Puisque les bénévoles sont censés remplacer l’entourage familial pendant un moment pour lui permettre de souffler cela semble évident que nous le remplaçons également pour les petites tâches nécessaires au bien–être du patient. Mais il faut être au clair là-dessus avec soi-même et son équipe et savoir où est la ligne rouge à ne pas franchir. Il va de soi que les gestes normalement réservés aux soignants sont proscrits mais tout cela est loin d’être simple. Même arranger des oreillers peut poser problème si on s’y prend mal. Il y a quelques années je disais, péremptoire : « Il ne faut pas le faire. »

A présent j’ai tendance à dire : « Il faut que les associations forment mieux leurs bénévoles au domicile pour leur permettre de faire convenablement les gestes inévitables d’une part et pour leur fixer des limites tenables d’autre part. » Cela veut dire qu’il faudrait plus de sessions animés par des kinés ou des infirmières pour apprendre les gestes à faire et surtout ceux à ne pas faire et que les associations soient plus exigeantes dans l’élaboration de leur Règle.


La deuxième difficulté qui est accentuée au domicile est d’éviter l’attachement. Nous entrons dans l’intimité du malade et de sa famille et nous vivons seuls avec eux des moments de proximité incomparables. Ils se mettent à nu devant nous, au propre comme au figuré, et parfois nous sommes témoins d’événements extrêmement intimes et tout cela dans un environnement personnalisé et chaleureux sans les barrières, les rythmes et les freins de l’hôpital.

Alors par moments nous sommes tentés de penser que nous faisons partie de cette intimité, que nous sommes de la famille, ou du cercle d’amis, en quelque sorte. Et lorsque nous en arrivons là cela devient dangereux

  • d’abord parce que c’est faux : nous ne sommes que le bénévole, positionné de façon très provisoire auprès du malade, de passage ;
  • et dangereux ensuite parce que s’il y a cette confusion de genres il nous sera encore plus difficile de nous séparer non seulement du malade s’il meurt, mais aussi de sa famille qui va rester.

Si nous souhaitons perdurer dans ce bénévolat il faut arriver à gérer tous ces deuils – si possible sans y laisser trop de nous-mêmes.


Au domicile on a moins qu’à l’hôpital la conscience de l’équipe à laquelle on appartient – et le malade aussi. On a davantage tendance à avoir « mon malade » et le malade « son bénévole ». Cette appropriation mutuelle augmente évidemment les risques de l’attachement, excluant parfois l’intervention d’autres bénévoles qui pourraient ajouter un plus à l’accompagnement. Lorsqu’un bénévole a « son » malade il s’érige souvent en seul juge de ce qui est bon pour lui, s’appropriant en même temps le malade et l’accompagnement et les autres membres de l’équipe n’arrivent plus à faire une brèche dans ce mur.


L’appropriation peut mener aussi à ma dernière « dérive possible » qui est l’action en solitaire. Elle est potentiellement la plus dangereuse car elle pourrait mener à absolument tout. Lorsque l’accompagnant est auprès d’un malade au domicile, il est seul, sans autre surveillance que celle de son éthique personnelle. D’où l’importance cruciale de la sélection et de la formation.


Au domicile, donc, les bénévoles d’accompagnement et leurs associations doivent être particulièrement vigilants devant ces dérives possibles :

  • la tentation du faire,
  • l’attachement,
  • l’appropriation,
  • et l’action en solitaire.

A partir de là la question essentielle est : « Comment agir pour éviter tous ces méfaits ?

Il me semble que dans l’organisation habituelle du bénévolat comme nous l’entendons nous disposons de pas mal d’armes. Au domicile je vois le binôme comme premier garde-fou. Chez nous, à l’ASP-Yvelines, comme dans beaucoup d’associations, c’est le premier principe de notre accompagnement. Un malade n’est jamais accompagné par un seul bénévole mais toujours par au moins deux, en alternance.

Ceci permet bien sûr des échanges téléphoniques de suivi et du soutien moral pour les bénévoles. Cela permet également au malade de s’exprimer, de dire sa vérité et de dérouler sa vie devant deux personnes forcément différentes et cela apporte une véritable synergie à l’accompagnement. Enfin, cette présence double laisse moins d’espace à une action en solitaire, inappropriée, fantaisiste voire prosélyte.

En élargissant le champ il y a ensuite l’équipe et le Groupe de Parole. Ces deux éléments sont incontournables si on veut garder les bénévoles sur le chemin tel qu’il est tracé par notre Charte. Et j’ajouterai qu’au domicile le rôle du Coordinateur de l’équipe me semble encore plus important qu’ailleurs car c’est surtout lui qui peut être au courant de comment les choses se passent chez le patient. A condition que la parole y soit franche le Groupe de Parole est évidemment le lieu où, les problèmes étant posés sur la table on peut trouver au moins l’ébauche d’une solution et un psychologue attentif peut veiller très judicieusement au bon déroulement d’un accompagnement ou signaler « attention, danger » s’il le faut.


Après environ deux ans d’exercice spontané et un peu ad hoc, notre première équipe au domicile a senti le besoin de se réunir pour rédiger ensemble sa Règle.

Élaborée ensemble elle fournit le cadre auquel tous peuvent se référer pour décider quelle attitude adopter devant tel ou tel questionnement ou pour justifier auprès du malade et de sa famille notre refus d’aller plus loin, par exemple.

Cette Règle fournira des éléments de réponse à ces questions que se sont posés tous les bénévoles de France et de Navarre du genre :

  • « Dois-je aller aux obsèques de ce monsieur ? »
  • « On m’a demandé mon numéro de téléphone personnel. Que dois-je répondre ? »
  • « Dois-je continuer à aller dans cette famille bien que la malade soit décédée ? »
  • etc.

Cette Règle donne donc un canevas. Il y aura sans doute des transgressions car au domicile nous sommes obligés d’agir dans la souplesse – mais au moins le ferons nous en connaissance de cause. Transgresser sciemment ce n’est pas du tout la même chose que de faire n’importe quoi.

L’association participe également à la qualité du travail des bénévoles au domicile en étant alerté d’abord à ses spécificités. L’accompagnement à domicile ne convient pas à tous les bénévoles et tous les bénévoles ne lui conviennent pas. Certains bénévoles ont besoin du cadre de l’hôpital pour se sentir à l’aise. L’association peut aussi aider en ce qui concerne des formations spécifiques. Elle peut mettre en garde, certes, mais elle doit aussi constater les réalités du terrain et mieux armer ses bénévoles en organisant, par exemple, des sessions de formation par un kiné pour apprendre à l’équipe à bien déplacer le malade sans lui faire mal puisqu’on sait bien qu’on ne peut pas tout refuser. Et puis l’association doit prendre ses responsabilités en veillant à souscrire une assurance convenable et le cas échéant en faisant signer par les malades une décharge.


La relation aux soignants constitue également un élément essentiel à l’équilibre. Dans les Yvelines nos deux équipes au domicile ont la chance de travailler prioritairement avec un Réseau de Soins Palliatifs : l’une avec Pallium et l’autre avec Epsilon. Cela facilite énormément les choses. Dans chaque cas le bureau des bénévoles se trouve d’ailleurs dans les mêmes locaux que ceux du Réseau et cette proximité géographique est un grand plus pour tout le monde car les informations circulent et les gens se connaissent bien.

Il est évidemment essentiel qu’il y ait une relation de confiance entre professionnels et bénévoles et cette confiance ne pourra exister que si l’équipe de bénévoles fait la preuve de sa fiabilité et de son sérieux. Il faudra pas mal de réunions formelles et informelles avant que les choses ne deviennent évidentes et que l’équipe de bénévoles ne trouve sa place. Il sera nécessaire de travailler la communication, mettre en place un cahier de transmissions, des rapports de visite. Ce n’est pas facile car beaucoup de bénévoles rechignent à rédiger des résumés de visite mais il faut revenir à l’attaque et tout faire pour laisser une trace de notre action aux côtés des soignants.

Tout cela représente beaucoup de travail et de vigilance mais je crois que cela en vaut la peine si nous souhaitons exercer notre bénévolat dans la sérénité et dans la durée.

Elizabeth Turquais
Novembre 2006

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